Texte : "Hypomania"


Je n'aime pas parler de ces épisodes qu’on dit « maniaques », « up », « les hauts », pour ne pas en avoir la nostalgie, pour ne pas les magnifier, pour les faire disparaître sous le tapis, les cacher comme des cousins de province.
Mais ils font partie de moi, ils ont contribué à la cartographie de mon cerveau. Ce ne sont pas des verrues distinctes, ils ont créé de nouveaux réseaux et connexions de neurones qui font ce que je suis aujourd’hui.

Comment raconter avec des mots ce road movie fantastique qui s'est produit en l'an deux mille sans en altérer la puissance, ni le montrer sous un trop beau jour trompeur ?

Si je tente...

Je vois Thelma et Louise, au volant de leur voiture.
Je vois Adjani face à Souchon dans mortelle randonnée.
Je vois le sourire de Betty-Béatrice Dalle à la porte d'entrée de la cabane sur pilotis de Gruissan.
Je vois Nikita, la révoltée.
Je vois une voiture brûlée, des vitres brisées, un réceptionniste couard, un couteau sorti au milieu de la nuit, mais aussi la déambulation sur la rade de Toulon, ses rochers, sa forêt, et son homme aux 100 femmes...
Les kilomètres avalés sur la musique de mission impossible 2, avec la voiture de mission impossible 2, le dépassement à la chaîne des camions, les appels de phare, la robe rose dans la voiture noire.
Les relations humaines exacerbées, puissance 100, les rêves bidons d'un scénariste, le shooting photo en plein été à supplicier un gamin en blouson, bonnet et skis, pour une pub carrefour, la clope au bec sans la lâcher d'une seconde.
Le prof de sport sans émotions, le prof d’éco avec qui je prends le thé, relation sans queue ni tête, le mec au casier,  le mec fétichiste des pieds, assistant parlementaire déphasé, l’historien en herbe dont je sais tout et que je n'ai jamais vu, le chirurgien qui me répond au téléphone quand il opère et j'en oublie...
Mais aussi, la vie professionnelle qui meurt pour toujours.
Le deroxat qui me fait trembler et sursauter,
Les nuits difficiles à me demander ce que je fais là, et penser à mes enfants loin de moi.
L'achat de la boîte de nuit par des filles canons aux cheveux roses, et jupes courtes, hyper maquillées en pleine journée, les négociations au cordeau avec leur vendeur lubrique, qui dit que je suis coriace, l'envie d'acheter une arme pour faire peur à une Barbie toxique.
La virée à Paris pour un rendez-vous de cinéma qui a tourné au vinaigre, la nuit chez un prof de sciences po, qui ne sait plus où il habite, les bars ineptes, à me demander "mais qu'est-ce que je fous là à 500 km de chez moi et de mes enfants, en pleine semaine ?"
Le retour au foyer où je m'ennuie à mourir, mais qui me manque quand je m'en éloigne.
Le champagne qui me rend si gaie et me fait danser sur Alizee en mangeant des crêpes, dont j'aurai un mal de chien à me défaire.
Et pourtant, je ne regrette pas, en tout cas, pas les faits, j'aurai seulement dû vivre tout cela avec du recul :
Du recul, "putain", du recul, t'as complètement "merdé" sur ce coup-là !!!
Après cela, la sensation que je pouvais bien mourir, j'avais assez vécu.
Il s'en était fallu de peu, à 30 ans j'étais en train de mourir à petit feu, déjà vieille, avec une vie sans couleur.
À 31, j'avais comblé ce retard au prix d'une situation professionnelle sacrifiée pour toujours, et d'une chute qui fut à l'échelle vertigineuse de mon épopée fantastique.
J'aurais seulement voulu le vivre avec suffisament de distance pour être toujours aux commandes.
Mais cette folie-là, OUI, j'en redemande !