«Les leçons de longévité du couvent de Baltimore : s’adapter grâce à la neuroplasticité » B.Anselem, médecin, neuropsychologue (article publié le 3 juillet 2019)



Le choix d’orienter nos pensées sur les éléments positifs ou négatifs de nos vies détermine notre santé et notre satisfaction de vie.
 
Repérer ce qui fonctionne nous rend plus apte à éprouver et développer des émotions et pensées agréables, nous devenons plus serein, plus fort et plus entreprenant. C'est possible grâce à la plasticité cérébrale.


  • Texte intégral de Bernard Anselem, Médecin auteur, consultant, conférencier en neuropsychologie, publié le 3 juillet 2019 (Source) :   

"Chaque fois que votre impulsion vous conduit à râler, médire, juger, condamner, regretter, redouter, culpabiliser, envier, reprocher, se dévaloriser, se comparer, détester, jalouser, se venger… pensez à ceci :
« Le choix d’orienter nos pensées sur les éléments positifs ou négatifs de nos vies détermine notre santé et notre satisfaction de vie ».
Il ne s’agit pas d’une injonction au bonheur, mais de RÉÉQUILIBRER une tendance naturelle à repérer tout ce qui ne va pas (biais de négativité)
Comment des pensées bien choisies peuvent diminuer les raisonnements toxiques, les ruminations, la production d’émotions douloureuses et finalement améliorer nos vies ? Il est établi que sélectionner délibérément des pensées favorables renforce notre humeur, notre bien-être et notre santé. Dit comme cela, tout paraît simple, trop simple. Nous savons tous que les pensées indésirables et les idées sombres n’obéissent pas à notre volonté.
« – Pas besoin de faire des recherches sur le cerveau pour savoir que l’on va mieux quand on se sent bien et quand on pense des choses agréables ! Mais le monde n’est pas un conte de fées, la vie est difficile. Vous êtes gentil, mais j’ai du travail, des contraintes, des problèmes sérieux à régler, alors vos histoires de bons sentiments, c’est bien joli sur le papier, mais je n’y crois pas.
– Mais ce ne sont pas des croyances, ce sont des conclusions de travaux sérieux qui étudient les comportements des gens les plus doués pour se sentir bien et analysent par des moyens scientifiques ce qui les distingue des autres.
– Eh bien prouvez-le-moi ! »
Une étude convaincante
Si je veux vous convaincre que les pensées que vous choisissez de développer ont une incidence directe sur votre santé, il faudra disposer d’une étude qui compare deux groupes de personnes, l’un pensant plutôt positivement, l’autre négativement, puis surveiller leur santé sur une longue période. On pourra alors repérer les modes de pensée qui influencent, en bien ou en mal, la santé. Cela paraît déjà compliqué, mais si ces personnes ont des métiers différents, un environnement, une alimentation et un entourage différents, vous pourrez toujours contester les résultats, à juste titre, en remarquant que les modifications de santé peuvent être dues à n’importe quelle autre cause, alimentaire, professionnelle ou environnementale.
Il nous faut donc trouver deux populations qui pensent différemment, mais qui ont les mêmes métiers, horaires, alimentation, environnement et même famille ! Bref, les mêmes vies, cela paraît impossible et pourtant des chercheurs ont trouvé[i].
Les religieuses qui vivent plus longtemps
Dans une étude particulièrement élégante, ils ont suivi une communauté de religieuses de Baltimore et de Milwaukee, en reprenant l’ensemble de leur vie, depuis leur entrée au couvent jusqu’à leur décès.
Comment mesurer leurs pensées ? Cette étude présente l’originalité de disposer d’une autobiographie manuscrite des jeunes filles à leur entrée au couvent (vers l’âge de 22 ans en moyenne), un texte assez long et significatif pour mesurer statistiquement les contenus à connotations négatives et positives. Il est possible de repérer dans ces textes, les personnes orientées vers les éléments positifs de la vie et celles plus sensibles aux événements négatifs. Comment en mesurer l’influence sur la santé ? En calculant leur longévité entre 75 et 95 ans.
La force de cette étude est la mise en évidence d’un puissant lien entre paroles positives à l’entrée au couvent et longévité. Par rapport aux 25 % les plus positives, le risque de décès chez les 25 % les plus négatives était multiplié par 2,5 ! Ces résultats incroyables sont significatifs puisque ces personnes ont été exposées aux mêmes conditions de vie et au même métier. Ainsi, la simple façon de voir les choses, de choisir des pensées positives ou négatives à 22 ans peut retentir 60 ans plus tard sur l’état de santé tout au long d’une vie !
Du point de vue neurologique :
nos pensées sont contagieuses pour nous même, et pour les autres. Elles ne se limitent pas à une simple réaction aux événements, mais nous transforment dans notre chair. La plasticité cérébrale est la propriété des neurones à s’adapter à une information. Si le signal est répétitif, il va modeler nos réseaux cérébraux, l’information va passer plus vite et plus fort, elle sera plus présente, plus mémorisable, plus saillante. Autrement dit, si vous entraînez votre cerveau à se focaliser sur ce qui ne va pas (ce qu’il a tendance à faire naturellement, c’est le biais de négativité) vous deviendrez de plus en plus doué pour repérer ce qui ne va pas et pour favoriser les humeurs sombres. L’inverse est aussi vrai, des travaux de psychologie comportementale montrent que repérer ce qui fonctionne nous rend plus apte à éprouver et développer des émotions et pensées agréables, nous devenons plus serein, plus fort et plus entreprenant.
Pourquoi cultiver les pensées agréables a-t-il un effet aussi marqué sur notre santé ?
 Choisir de s’orienter vers les événements positifs de nos vies atténue nos réactions de stress chronique, diminue les processus inflammatoires en lien avec le stress et améliore les capacités de défense immunitaire de notre corps[ii].
L’étude de Baltimore n’est pas isolée, elle montre une corrélation entre pensées et santé, mais ne fournit cependant pas de preuve de cause à effet. Pour cela il existe une quantité impressionnante de travaux (en particulier dans les domaines de l’anxiété et de la dépression)[iii] montrant que notre activité mentale consciente peut agir sur nos humeurs négatives et notre bien-être[iv]. Ce qui fonctionne sur des patients atteints de troubles prononcés, s’avèrera plus facile à appliquer aux contrariétés habituelles. Vous ne possédez peut-être pas le don naturel de sélectionner les pensées favorables à votre bien-être, heureusement cela s’apprend. Avec un peu de savoir-faire, de motivation et de persévérance. L’expérience prouve que les résultats sont à notre portée.
Les applications pratiques
 Comment appliquer ces beaux principes dans la vraie vie ? Par où commencer pour influencer nos pensées ? La prise de conscience, un bon début
« Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un autre sentiment plus fort », B. Spinoza.
1)     Acceptation. Les émotions précèdent nos pensées et sont à l’origine de nos jugements. Pour agir durablement sur nos pensées indésirables, il faut assez de lucidité pour prendre conscience de nos émotions, afin de les accepter. L’émergence d’une émotion n’est pas contrôlable, il faut l’accepter pour « libérer » la part consciente de son cerveau, qui pourra passer à autre chose. Les personnes habituées à réprimer leurs émotions (par culture ou à la suite d’expériences traumatisantes) devront faire un effort, pour apprendre à ressentir tout simplement une émotion. Cette prise de conscience peut être entravée par nos raisonnements, masquant l’émotion sous-jacente. La difficulté sera alors de prendre conscience de la nocivité de certains raisonnements. Nous ignorons souvent que ce sont nos émotions qui influent les raisonnements.
2)     Entrainer notre mental à revenir au présent en abandonnant les idées nocives, c’est le principe de la pleine conscience qui se travaille par des séances de méditation de mindfulness[v]
https://www.linkedin.com/pulse/notre-petite-voix-int%C3%A9rieure-nous-casse-les-pieds-suite-anselem/
Une part de notre cerveau passe son temps à échafauder des scénarios, à remémorer et décortiquer des épisodes passés, c’est une fonction indispensable pour anticiper les difficultés et aider la prise de décision. Un réseau cérébral (le réseau par défaut) s’active quand l’attention n’est plus concentrée sur une tâche présente. Il est tourné vers notre monde intérieur et ouvre la porte aux errements et ruminations. Nous devons donc apprendre à débrancher ce pilote automatique, à passer du mode « penser » au mode « ressentir ». Ce n’est pas évident car cet automatisme fait partie de nos habitudes. Il faut donc faire un effort mental pour en sortir. La pratique consiste à orienter son attention sur les perceptions du présent. Au début le plus simple est d’observer sa respiration, calmement sans jugement, puis au fil des séances, d’ouvrir ses perceptions au corps et aux ressentis émotionnels, toujours sans s’y arrêter.
Ne pas s’accrocher à ses pensées, implique de les accepter et de les prendre pour de simples idées qui ne font que passer, au lieu de les tenir pour des vérités. Les pensées sont une interprétation du monde, elles ne sont pas le monde. En prenant le parti-pris d’accepter tous nos ressentis sans les juger, nous désamorçons cette machine à ruminer qui se met en route à chaque fois que nous portons un jugement négatif.
3)     Orientation positive : entraîner son esprit à repérer ce qui nous fait du bien. Pour des raisons de survie de l’espèce, le cerveau est entraîné à repérer et traiter les informations négatives en priorité. C’est utile, mais parfois usant. D’innombrables études montrent qu’orienter son attention sur les éléments positifs de la vie augmente nos capacités à affronter l’adversité[vi], approfondit nos liens sociaux, notre motivation, lutte contre le stress et les tendances à la dépression ou à l’anxiété[vii].
Nous allons réapprendre à nous focaliser sur des événements heureux de notre existence. Cela peut passer par une prise de conscience de tous les instants, mais aussi par des petits exercices délibérés, pour rééduquer notre cerveau[viii].
L’exercice des trois bienfaits par jour[ix] : chaque jour pendant une ou deux semaines, prendre dix minutes (par exemple au coucher) pour noter dans un carnet, trois moments de la journée qui se sont bien passés et vous ont apporté satisfaction. Ces événements sont trois bonnes raisons d'éprouver de la gratitude. Noter une explication détaillée des causes, apporter un maximum de détails, ce qui a été dit ou fait, inclure les émotions ressenties sur le moment ou à distance, établir les causes et l’évolution de l’épisode.
Il est important de noter par écrit, ne pas se contenter d’y penser, cela permet un approfondissement de la réflexion et une meilleure mémorisation. Plus l’épisode est détaillé, plus les effets seront profonds. Cet exercice a montré une efficacité remarquable, se prolongeant plus de six mois après le test. Connaissez-vous d’autres démarches qui ne prennent que quelques minutes par jour pendant deux semaines et restent efficaces plusieurs mois ?  
https://www.linkedin.com/pulse/efficacit%C3%A9-motivation-cr%C3%A9ativit%C3%A9-penser-positif-nest-pas-anselem/?originalSubdomain=fr
4)     Réévaluation cognitive : il s’agit d’une des méthodes les plus employées et reconnues en psychothérapie cognitive[x]. A partir du moment où les émotions sont acceptées et où nous avons pris de la distance avec nos pensées, il devient plus facile de remplacer les idées nocives par une autre vision. Une réalité complexe peut toujours être abordée sous plusieurs angles. En privilégiant une approche plus favorable à nos ressentis, nous améliorant notre état mental. Apprenons par exemple à nous focaliser sur ce qui nous renforce plutôt qu’à recenser et ruminer nos inquiétudes ou nos ressentiments. https://www.linkedin.com/pulse/la-sangria-du-bonheur-bernard-anselem/
Il existe bien d’autres démarches pour mettre à distance les pensées nocives activité physique, relaxation, cohérence cardiaque, imagerie mentale, culture de la qualité relationnelle, entre autres.

En somme, orienter notre attention sur ce qui nous renforce, ne dépend que de nous et de notre détermination. Une bonne motivation et un peu de persévérance peuvent améliorer sensiblement nos vies, notre santé et nos relations."
->Ces lignes sont adaptées de deux ouvrages :  " Je rumine, tu rumines, nous ruminons " http://www.unitheque.com/Livre/eyrolles/Je_rumine,_tu_rumines..._nous_ruminons-110841.html
 "Ces émotions qui nous dirigent" https://goo.gl/nGlyfp
[i] DANNER D.D., SNOWDON D.A., FRIESEN W.V., Positive emotions in early life longevity : findings from the nun study, Journal of personality and social psychology, 80, 2001.
[ii] SIN N.L., GRAHAM-ENGELAND J.E., ONG A.D., ALMEIDA D.M., Affective Reactivity to Daily Stressors Is Associated With Elevated Inflammation, Health Psychology, Jun 1, 2015.
 [iii] GLOAGUEN V., COTTRAUX J., CUCHERAT M., BLACKBURN I., A meta-analysis of the effects of cognitive therapy in depressed patients, Journal of Affective Disorders, 49, 59-72, 1998.
 [v] GOTINK R.A., CHU P., BUSSCHBACH J.J., BENSON H., FRICCHIONE G.L., HUNINK M.G, Standardised mindfulness-based interventions in healthcare: an overview of systematic reviews and meta-analyses of RCTs, PLoS One, 10(4), 2015 Apr 16.
[vi] Janoff-Bulman, R., & Berger, A. R. (2000). The other side of trauma:Towards a psychology of appreciation. In J. H. Harvey & E. D. Miller(Eds.),Loss and trauma: General and close relationship perspectives (pp. 29–44). Philadelphia: Brunner-Routledge.
[vii] Emmons,R.A., Mc Cullough,M.E., (2003) Counting blessing versus burdens : an experimental investigation of gratitude and subjective well-being in daily life. Journal of personality and social Psychology, 84
[viii] Jordi Quoidbach,Moïra Mikolajczak,James J. Gross. Positive Interventions: An Emotion Regulation Perspective.Psychological Bulletin 2015 American Psychological Association.2015, Vol. 141, No. 2, 000 0033-2909/15/$12.00
[ix] Seligman, M.E.P., Steen, T.A., Park, N., Peterson, C. (2005) Positive psychology progress. American Psychologist, 60.(5) 410-21
[x] GLOAGUEN V., COTTRAUX J., CUCHERAT M., BLACKBURN I., A meta-analysis of the effects of cognitive therapy in depressed patients, Journal of Affective Disorders, 49, 59-72, 1998.