Qui sont les bipolaires ? "Quand les émotions déraillent" - Revue sciences humaines - Décembre 2019

Un article dans le dernier numéro de la revue sciences humaines :
"Qui sont les bipolaires ?" 
d'Elie Hantouche, Psychiatre, directeur du Centre des troubles anxieux et de l’humeur ; auteur, avec Vincent Trybou, de Vivre heureux avec des hauts et des bas (Odile Jacob, 2011) et de Sommes-nous tous bipolaires ? (Josette Lyon, 2018).
Tantôt abattu, tantôt surexcité… Simples sautes d’humeur ou réelle pathologie ? Quelle différence entre la cyclothymie et un trouble bipolaire ?
Depuis plus d’une décennie, la bipolarité est sur la sellette. Nombre d’experts scientifiques relayés par les médias vont même jusqu’à suggérer qu’il s’agit d’un « phénomène de mode » : toute personne présentant des variations d’humeur, des moments d’euphorie, des traits de caractère exubérants et excessifs, serait étiquetée de « bipolaire ».
La forme typique de bipolarité se manifeste de manière épisodique avec des accès maniaques francs où la personne se montre exubérante et hyperactive, alternés avec des épisodes dépressifs*. En opposition, le trouble unipolaire est défini par une récurrence des dépressions sans épisode maniaque*. On parle d’épisode maniaque quand les symptômes (humeur exaltée, hyperactivité, idées de grandeur…) durent au moins une semaine ou quand l’épisode nécessite une hospitalisation. La présence d’un ou de plusieurs épisodes maniaques est la signature du « trouble bipolaire type 1 ».
Une autre forme de bipolarité se distingue par des épisodes de manie atténués ou « hypomanie* » associés aux épisodes dépressifs. On parle de trouble « bipolaire type 2 ». Ici, les phases de haut sont moins intenses, peuvent durer seulement quatre jours, et leur sévérité n’est pas suffisante pour altérer le fonctionnement ou nécessiter une hospitalisation. Cela dit, il importe de repérer les aspects pathologiques de l’hypomanie, qui se distinguent des états d’exaltation et d’hyperactivité que tout un chacun peut connaître. Ce qui caractérise l’hypomanie est par exemple le caractère cyclique ou récurrent de l’humeur euphorique (la joie normale ne l’est jamais). C’est aussi le fait de passer brutalement d’un état à l’état opposé (d’une frénésie à l’apathie ou de l’exaltation à la tristesse profonde). Une instabilité relationnelle (trop de conflits, séparation brutale, relation extraconjugale), des problèmes financiers (dépenses excessives, projets irréalistes) ou encore l’inquiétude de l’entourage sont aussi des signes qui doivent alerter.

Oscillations d’humeurs

Contrairement aux troubles bipolaires 1 et 2 qui sont épisodiques (présence d’intervalles avec une humeur normale entre les phases), il existe une forme distincte de bipolarité, le trouble cyclothymique*, marqué par des oscillations permanentes des phases de haut et de bas. La personne présente alors des changements brutaux d’humeur et de vitalité, peut se sentir bouillonnante d’énergie et à d’autres moments très paresseuse, avoir une énergie « trop haute » ou « trop basse », présenter des comportements risqués ou scandaleux. Initialement la cyclothymie a été décrite en 1882 comme un trouble circulaire léger, rarement reconnu comme une maladie et considéré, à un faible degré, comme un état normal. La cyclothymie débute en général à un âge précoce – avant 15 ans (plus jeune que le trouble bipolaire) – et évolue progressivement avec des épisodes intermittents mineurs de dépression et d’hypomanie. C’est la survenue des complications liées à un grossissement de ce tempérament (difficultés relationnelles, échecs professionnels, tentatives de suicide, conduites impulsives et addictives…) qui signent le caractère pathologique du trouble cyclothymique.

De petites vagues émotionnelles

Le tempérament cyclothymique n’est donc pas pathologique. Par définition de « nature affective », il est souvent confondu avec une personnalité lunatique ou hypersensible. Cette sensibilité souvent associée à une intelligence supérieure à la moyenne, à des talents créatifs en musique et en poésie et un sens poussé de la délicatesse, peut orienter le diagnostic en faveur du « haut potentiel » ou de la « précocité ».
Dans certaines conditions plus intenses, la cyclothymie présente des ressemblances avec la personnalité « type borderline* » ; notamment quand les affects sont complexes (dépression, colère, irritabilité), les actions impulsives (automutilations, gestes suicidaires ou autodestructeurs répétitifs, abus de substances) et les relations interpersonnelles instables (peur du rejet, intolérance à la solitude, conflits récurrents avec les proches…).
Il faut souligner que les experts de la bipolarité perpétuent une « fausse » idée sur la valeur clinique de la cyclothymie. Plusieurs études récentes pointent du doigt le rôle de la cyclothymie dans la survenue de différents troubles psychiques, leur évolution au long cours et leur réponse au traitement (1). La présence d’un tempérament cyclothymique signifie plus de récurrence dépressive, une majoration du risque suicidaire et une altération plus importante de la qualité de vie (gestion du quotidien, loisirs, vie sociale). Pour cela, il est important de quitter la fâcheuse habitude d’indiquer la maladie thymique dans ses formes les plus intenses et caricaturales. Dans la cyclothymie, les « petites vagues émotionnelles », bien qu’invisibles aux cliniciens en tant que vrai trouble, représentent l’aventure d’une âme tourmentée dans sa sensibilité morale et émotionnelle ; une âme qui manque de sérénité, de quiétude et de stabilité. Elles doivent être considérées de la manière la plus sérieuse et donc servir de base pour les stratégies thérapeutiques qui s’orientent aujourd’hui plus particulièrement vers la psychoéducation (apprendre au patient à mieux connaître son trouble), l’acceptation et la connaissance de son propre tempérament ou de sa nature émotionnelle, la pleine conscience (méditation et gestion des pensées négatives), le contrôle émotionnel (repérer les hauts et les bas et apprendre à réduire leur intensité et durée) et les techniques pour restaurer l’estime de soi. 
https://www.scienceshumaines.com/qui-sont-les-bipolaires_fr_41622.html

MOTS-CLÉS

Épisode dépressif

Il est caractérisé par une tristesse profonde, un désintérêt, une fatigue importante, un ralentissement psychique et moteur, des idées négatives, des pensées de mort ou suicide…

Épisode maniaque

Il se manifeste par une humeur anormalement euphorique, exaltée, une hyperactivité avec accélération et activation psychomotrice (niveau d’énergie excessif, dormir une à deux heures sans être fatigué, trop de paroles, recherche immodérée de contacts…), des idées de grandeur (se sentir génial, doté d’une force importante, capable de tout faire, avoir des idées qui vont changer le monde), et souvent une agressivité-irritabilité (crises de colère, susceptibilité excessive, violence).

Hypomanie

Forme atténuée de la manie avec les mêmes manifestations, mais moins intenses (élévation de l’humeur, réactions émotionnelles disproportionnées, irritabilité, changements thymiques brutaux…).

Cyclothymie

Elle se caractérise par un « tempérament affectif instable » (désordre permanent de la sphère affective) et un déséquilibre de la sensibilité morale (vulnérabilité à des changements subtils dans l’environnement souvent imperceptibles aux autres).

Personnalité borderline

Elle se manifeste par des pensées bizarres, magiques ou superstitieuses, des expériences perceptives inhabituelles (sentiments d’irréalité, expériences de voyance), un sentiment de vide, une crainte de cesser d’exister en cas de rejet ou d’abandon…