Les bons moteurs pour donner le meilleur de soi, le cerveau de la motivation par Bernard ANSELEM (Médecin neuropsychologue. Auteur conférencier)


Nos motivations ne sont pas toujours explicites, nous aurons parfois avantage à rechercher quels moteurs profonds nous poussent et nous procurent une satisfaction durable, au delà des apparences et des plaisirs transitoires. 
Il serait possible de résumer ces 3 motivations fondamentales par 3 verbes "aimer" "savoir" et "faire".

👉 Pour se mettre en action, sortir de son lit ou réussir sa carrière, nous savons obéir aux obligations externes (les contraintes de la vie). Nous pouvons aussi nous appuyer sur nos rêves de notoriété, de richesse ou sur nos envies du moment. La carotte ou le bâton. Mais il est des sources de motivations plus puissantes, car plus durables, celles qui viennent de soi.

Guillaume Nery, 2 fois champion mondial de plongée en apnée, témoignait récemment sur sa pratique. À la question des origines de sa passion, je m’attendais à une réponse classique « en plongeant par loisir, je me suis rendu compte que je possédais des capacités supérieure etc. » Pas du tout ! Sa réponse est à la fois étonnante et inspirante : « Enfant, par esprit ludique, nous avions fait un jeu d’apnée à l’air libre, et j’ai perdu ! » Cet homme arrivé aux plus hautes marches de sa discipline n’était pas plus doué que ses camarades de jeu, il a débuté par un échec ! Sa motivation à progresser et se dépasser, l’a mené à l’excellence.

Régulation du stress et des émotions, pleine conscience, acceptation, engagement, cohérence cardiaque (adaptée à sa discipline), activité physique, Guillaume coche toutes les cases des sciences positives. « Globalement une apnée c’est beaucoup de plaisir et de sensations agréables ». Guillaume est donc un expert en émotions positives et en motivation interne. Sans ces aptitudes, il n’aurait pu supporter la somme infinie de contraintes et de stress que nécessitent ses entraînements à un plus haut niveau.

Trouver ses motivations

Ces motivations internes sont regroupées en 3 besoins fondamentaux, selon le modèle d’E.Deci et R.Ryan, conforté par de nombreuses confirmations expérimentales, d’études de terrain ou de suivis sur plusieurs années.

· Relation à l’autre, appartenance : besoin d’appartenir à un couple, une famille, un cercle d’amis, une équipe, une entreprise, une communauté, une nation.

· Compétence : besoin de progresser, maîtriser une connaissance ou un geste, se dépasser, s’engager dans un projet.

· Autonomie : pouvoir décider de ce qui est bon pour soi, sans dépendre des conditions extérieures ou des autres, autrement dit, liberté de choisir ses actions.

Pour schématiser, il serait possible de résumer ces 3 motivations fondamentales par 3 verbes "aimer" "savoir" et "faire".

Bien sûr il existe autant de sources de motivations internes que d’individus, ces 3 besoins de base ne couvrent pas tous les possibles, mais sont considérés comme essentiels à l’intégrité et au bien-être de l’humain. L’accomplissement d’un ou plusieurs de ces 3 besoins donne du « sens » à nos actions et procure un bien-être durable.

En revanche les moteurs habituels les plus cités (l’argent, le pouvoir, la sexualité, les plaisirs matériels) sont parfois puissants, mais dépendent des conditions extérieures de réussite ou échec, ils sont donc fragiles et transitoires, soumis aux montagnes russes de l’existence.

Selon de nombreuses études[i], le respect des motivations autonomes est associé à une meilleure performance, plus de créativité, de persévérance, d’émotions positives et une meilleure santé mentale, rien que ça ! il améliore également l’apprentissage, la réussite scolaire[ii] et les performances sportives.

D’autres modèles existent, « l’engagement » de M. Seligman[iii], le « flow » de M. Csíkszentmihályi,[iv] la très connue hiérarchie des besoins de A. Maslow ou encore le chapitre « motivation » de l’intelligence émotionnelle de D. Goleman[v], il s’agit de présentations différentes, mais les notions de base sont communes.

Les bases neuropsychologiques


* les réseaux cérébraux impliqués dans la motivation par le désir et le plaisir font intervenir des structures profondes du cerveau animal (bulbe et noyaux de la base) et sont communs à la plupart des mammifères, ça s’est pour la carotte. Mais ce système a un problème : il n’est jamais rassasié, il s’accoutume, il lui en faut toujours plus, d’où de nombreuses frustrations.

* Le réseau des émotions désagréables (principalement la peur) fait intervenir d’autres structures profondes (amygdale et insula), c’est la motivation par le bâton ! Son problème, c’est l’anxiété qu’il génère.

*Chez l’homme, ces réseaux sont sous le contrôle (entre autres) de 2 régions situées à l’avant de notre cerveau : le cortex préfrontal médian (impliqué dans la prise de décision, l’anticipation et la régulation des émotions), et le cortex préfrontal latéral (fonctions exécutives, mémoire de travail, flexibilité mentale, planification). Ce qui est important à connaitre, c’est que ces systèmes sont plus actifs lors de situations liées à la motivation intrinsèque, ce qui explique nos meilleures performances dans ces contextes[vi].

Les applications pratiques personnelles 

Ces besoins fondamentaux sont de formidables générateurs d’énergie. Et vous, quelle sont vos sources de motivation ? Passez quelques minutes à en prendre conscience, à les formuler, à les préciser. Prendre conscience d’une motivation intérieure est une force à la fois entraînante et apaisante. Nous savons pourquoi nous agissons et cela nous plait !

Les sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance sont à l’origine d’effets positifs en boucle, Imaginez une occupation que vous aimez (une activité professionnelle que vous dominez, une descente à ski, maîtriser un instrument de musique, cuisiner, bricoler, une discussion entre amis, ou toute autre action qui vous motive) : l’implication forte induit une efficacité accrue, d’où un sentiment de progression ou de satisfaction, ce qui amorce la boucle vertueuse en produisant une nouvelle motivation à agir etc. Les deux niveaux de bien-être sont améliorés : le plaisir immédiat et l’accomplissement de soi.

Par ailleurs les tracas quotidiens, les petites préoccupations matérielles, les ressentiments, les frustrations prennent une autre tournure quand nous les comparons à nos objectifs fondamentaux !

Applications en entreprise 

Du point de vue du collaborateur : se rendre au travail en traînant les pieds n’est jamais enviable. Quels que soient les motifs de mécontentement (stress, pression des objectifs, ennui, démotivation, mésentente) ils peuvent être combattus par un recours à la connaissance de soi et de ses motivations profondes (quel est le sens de ma présence ici, que puis-je accepter ou pas, pour qui j'avance, pour quelle progression, pour quelle autonomie?).

Du point de vue du dirigeant: si vous attendez une obéissance aveugle et sans limites, la carotte et le bâton sont par moments suffisants. Mais dans un univers concurrentiel, instable, complexe et connecté, où les valeurs de créativité et d’agilité mentale sont essentielles, le bien-être et la motivation des salariés dépassent les simples notions d’éthique et deviennent une nécessité. Vérifiez que la culture et les procédures sont compatibles avec les critères de motivation intrinsèque (appartenance, compétence autonomie et sens) et donnent envie à toute l’équipe de se dépasser, d’être ensemble, ou de donner libre cours à des initiatives profitables à tous.

Pour Tous : ne sous-estimons pas la force des motivations internes, elles sont plus robustes et plus tenaces que les envies matérielles ou les comparaisons sociales. Elles nous conduisent à donner le meilleur de nous-même. La reconnaissance d’une communauté, le désir de se dépasser, la défense de ses libertés ou de celle de ses proches sont des moteurs incomparables. N’oublions jamais que certains ont donné leurs vies pour cela. Quoi de plus convainquant ? Enfin ces moteurs n’agissent pas uniquement sur la motivation, ils constituent de puissants facteurs de bien-être durable et de qualité relationnelle…

👉Texte intégral publié le 9 octobre 2018, écrit par Bernard Anselem : Médecin, neuropsychologue, auteur et conférencier, publié sur psy'ope à des nombreuses reprises :https://www.psyhope.fr/search?q=anselem.

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[i] Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2014). The importance of universal psychological needs for understanding motivation in the workplace. In M. Gagne, The Oxford handbook of work engagement, motivation, and self-determination theory (pp. 13-32). New York, NY: Oxford University Press.[ii] Early, D. M., Berg, J. K., Alicea, S., Si, Y., Aber, J. L., Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2016). The impact of every classroom, every day on high school student achievement: Results from a school-randomized trial. Journal of Research on Educational Effectiveness, 9(1), 3-29.

[iii] Seligman, M.E.P., Steen, T.A., Park, N., Peterson, C. (2005) Positive psychology progress. American Psychologist, 60 (5) 410-21.

[iv] Csíkszentmihályi, Mihály (2003). Good Business: Leadership, Flow, and the Making of Meaning. New York: Penguin Books.

[v] D. Goleman (2006) Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. Bantam edition

[vi] Murayama, K., Matsumoto, M., Izuma, K, Sugiura, A., Ryan, R. M., Deci, E. L., & Matsumoto, K. (2015). How self-determined choice facilitates performance: A key role of the ventromedial prefrontal cortex. Cerebral Cortex, 25, 1241-1251.